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Vocabulaires techniques au Moyen Âge

Présentation

Atelier « Vocabulaires techniques au Moyen Âge » de Villejuif

(Rythme des séances : mensuel, le mardi de 12h à 14h)
Organisation : Philippe Bernardi, Chris Fletcher, Emmanuelle Vagnon, Raphaëlle Chossenot, Eric Rieth

Ce programme d’ateliers se propose d’examiner la formation et les usages des vocabulaires médiévaux propres aux différents champs de recherche. Il s’agit de répondre, par des exemples pris dans différents domaines de recherche, à la question : « Comment se construisent les termes techniques ? ».

Les pratiques techniques traditionnelles comme les plus nouvelles ont toujours été associées à des dénominations particulières pour désigner sans équivoque leurs outils, leurs procédés ou leurs productions. Ce qui a frappé les premiers observateurs, c’est le recours aux mots détournés d’un sens primitif et choisis pour un motif qu’il est souvent difficile d’expliquer. En dépit des apparences, cette ressource, dite de « néologie passive », est bien créatrice de dénominations originales, dans la mesure où une unité lexicale se définit par l’association distinctive d’une forme et d’un sens. Le non-technicien est aussi démuni devant des mots d’apparence familière que devant des termes inconnus de son vocabulaire habituel.
Outre le trésor inépuisable des formes dont il est facile d’adapter le signifié à de nouvelles situations, l’usager a la possibilité aussi de construire de nouvelles unités à partir des données morphophonologiques et morpho-syntaxiques de la langue. Cette double ressource (différenciation et construction) a été abondamment et diversement exploitée par les différentes techniques selon les époques, les domaines et les niveaux de spécialisation.

(d’après B. Quemada, « Technique et langage. La formation des vocabulaires français des techniques », dans B. Gille (sous la dir. de), Histoire des techniques. Encyclopédie de la Pléiade, Paris, 1978, p.1146-1240)


Plusieurs processus linguistiques pourront ainsi être abordés : spécialisation sémantique, métaphorisation, conservation des archaïsmes, périphrases transformées en syntagmes dénominatifs puis en ellipses, invention de mots dérivés et de mots composés. Le cadre chronologique commencera aux XIIe-XIIIe s. et pourra s’étendre jusqu’au XVIIIe s.
Le programme « vocabulaire » s’inscrit dans le champ du LaMOP « Techniques-Technologies ». Il se présente sous la forme d’ateliers mensuels qui auront lieu à Villejuif, en général le mardi, de 12h à 14h. Les séances s’adressent aussi bien aux chercheurs qu’aux étudiants. Nous insistons sur le fait que cet atelier est largement ouvert à tous les chercheurs du LaMOP s’intéressant au vocabulaire des techniques que ces dernières soient de production ou non.

Chaque intervenant présentera un dossier avec un ou deux textes contenant un vocabulaire technique spécifique. Il s’agit (s’agira) de commenter ensemble ce vocabulaire en mettant en évidence les processus de langage en œuvre dans la formation et l’utilisation de ces termes techniques. Afin que le travail profite à tous, le dossier sera diffusé avant la séance, avec un début de commentaire, et fera l’objet d’un compte-rendu des échanges après la séance, mis en ligne sur le site du LAMOP.

Programme des séances, 2e semestre 2015 [version pdf]
- Mardi 17 mars : Philippe Bernardi : « La construction des termes techniques : l’exemple de la charpente en Provence XIIIe-XVIIIe siècle ». Voir le compte-rendu
- Mardi 14 avril : Emmanuelle Vagnon : « Vocabulaire maritime et métaphorisation »
- Lundi 11 mai : Chris Fletcher : « Construire un langage technique dans une langue étrangère : L’anglo-français et la construction du ‘common law’ »
- Mardi 23 juin : Raphaëlle Chossenot : « La construction des termes techniques dans le domaine du vitrail : le concept de « chef d’œuvre » (XVe-XVIIIe s.) ».

Programme des séances, 1er semestre 2015-2016
- Mardi 6 octobre : Anne Tournieroux et Ezio Ornato : « Les mots du livre ». La séance sera consacrée à la question de la construction du vocabulaire technique du livre médiéval et de ses usages, et plus particulièrement à la terminologie employée pour qualifier les matériaux utilisés dans la fabrication du livre (parchemin, papier, bois, cuir, tissu, etc).

- Mardi 24 novembre : Marine Sadania « Le vocabulaire de l’ancre »
Essentielles à bord d’un navire, les ancres à jas symbolisent la sécurité, la force et l’espoir. L’ancre dispose d’un vocabulaire riche et complexe à l’image des défis auxquels elles doivent répondre. Cette terminologie, fixée dans les sources imprimées à l’époque moderne, permet de décrire chaque spécificité de l’ancre.
Cet atelier sera l’occasion de présenter la nomenclature de l’ancre tant du point de vue de l’objet que de ses usages.

- Mardi 26 janvier 2016 : Bilan de l’atelier et projets.

Programme des séances, 1e semestre 2016
- Mardi 6 décembre 2016 : Christophe Cloquier « Les aménagements et équipements fluviaux »

Comptes-rendus des ateliers (2014-…)

 1er atelier : La charpente en Provence

17 mars 2015 : Philippe Bernardi : « La construction des termes techniques : l’exemple de la charpente en Provence »

Cette intervention prend appui sur l’analyse d’un contrat de construction (prix-fait) en français mis aux enchères à Aix-en-Provence au début de l’année 1537 (n. st.). Il y est question de rebâtir la charpente de toit du Parlement de Provence incendiée par les troupes impériales en 1536.
Dans un premier temps, Philippe Bernardi propose une lecture du texte dont la précision permet de restituer dans ses grandes lignes la structure de la charpente ainsi que d’identifier les différents termes techniques employés. La première remarque que l’on peut faire est que l’identification ne pose pas de problème majeur dans la mesure où le texte se présente comme un ensemble ou un système cohérent dans lequel chaque terme se présente comme une pièce d’un puzzle, à compléter suivant la logique technique de la charpente, de son assise à sa couverture. Si l’on cherche, cependant, à dépasser la monographie pour s’intéresser à la construction du vocabulaire, cela implique de replacer chacun des termes dans une perspective plus ample qui est celle de l’histoire de leur usage sur la longue durée. Pour ce faire, une base de donnée LIGNA est en cours d’élaboration qui regroupe, pour la Provence, près de 800 documents datés du XIIIe au XVIIIe siècle. Une courte démonstration du fonctionnement de cette base est faite afin de présenter la démarche suivie pour documenter chacun des 9 termes techniques relevés dans le contrat de 1537.
Cette mise en perspective permet de dégager un certain nombre d’observations relatives à la forme et au sens des mots.
En premier lieu, sans surprise, nous constatons que la plupart des mots sont issus d’une métaphorisation. Nous sommes alors, dans ce texte français en terre provençale, face à des dénominations construites que l’on peut répartir en trois grandes catégories :
- Des mots provençaux francisés ;
- Des termes techniques français ;
- Des néologismes.
A ces trois types de dénominations correspondent trois temporalités du vocabulaire qui produisent une sorte de feuilletage mêlant des mots anciens, issus du vocabulaire provençal ou latin, dont l’emploi, avec le même sens, est attesté au moins depuis le tout début du XIVe siècle ; des mots techniques français qui vont s’acclimater à la langue technique des Provençaux ; des tentatives originales de dénominations sans lendemain. Cela ne correspond pas totalement à l’adoption du vocabulaire technique français qui n’est vraiment sensible qu’à partir de la fin du XVIIe siècle, mais traduit un moment particulier.
Le recours à un vocabulaire francisé, français ou « francisant » antérieurement à l’édit de Villers-Cotterêt et de manière originale (pour les deux dernières catégories) - dans la mesure où nous assistons, avec ce texte, à l’introduction de certains termes dans le vocabulaire des charpentiers provençaux - peut être mis en rapport avec un contexte particulier : celui d’une élite parlementaire francophile mais aussi d’un épisode guerrier qui conduit à la réaffirmation du caractère français du Parlement et du pouvoir royal qu’il représente. Il va de pair avec la nature même de la structure projetée, dont le caractère français est clairement revendiqué dans la commande.
La communication se clôt sur la mise en évidence de la dimension politique que peut présenter le vocabulaire de spécialité.

La discussion qui suit la présentation porte sur les différents mécanismes qui encouragent la standardisation du vocabulaire. Ce texte écrit à une période politique charnière montre en effet la volonté de « faire français » en remplaçant –sans y parvenir totalement– le vocabulaire technique provençal. Il est antérieur à une période de standardisation volontaire du vocabulaire technique, produit par des dictionnaires et des traités officiels issus des académies de l’époque moderne. Dès lors, l’emploi d’un vocabulaire provenant de la moitié nord de la France se généralise au sud. Mais faut-il nécessairement une institution autoritaire pour encourager la standardisation linguistique ? En Angleterre, par exemple, où il n’y aura jamais de dictionnaire officiel, la standardisation s’opère tout de même.
Autre point de discussion : le rôle d’une description précise des travaux, et donc d’un vocabulaire adapté et compréhensible par tous, dans le contrat. Le contrat peut en effet servir à porter plainte ou à intervenir pendant les travaux si le travail ne convient pas ou ne correspond pas à ce qui est demandé. Néanmoins, on observe que les termes ne sont pas forcément très précis non plus : « suffisant », « avec une pente raisonnable », « là où ce sera nécessaire ». Ces termes laissent une certaine marge d’appréciation et permettent éventuellement la contestation.
Un dernier point de discussion a porté sur certaines similitudes entre l’évolution du vocabulaire de la charpente terrestre et celui de la charpente maritime. C’est ainsi que l’on constate une modification du vocabulaire technique dans les dernières décennies du XVIIe siècle en relation avec les milieux de la construction navale d’état et, principalement, militaire. En revanche, le vocabulaire « ancien et régional » se maintient tardivement dans le contexte des chantiers navals civils et privés. D’autres points de convergence pourraient être cités.

 2e atelier : Le vocabulaire maritime

14 avril 2015 : Emmanuelle Vagnon : « L’usage métaphorique et allégorique du vocabulaire maritime : l’exemple de Philippe de Mézières »

Le Songe du Vieux Pèlerin, écrit par Philippe de Mézières en 1389 pour le jeune roi Charles VI, est un long traité allégorique proposant une réforme profonde du royaume de France et de son gouvernement, sous la forme complexe d’allégories successives. Au livre II, l’auteur développe ainsi une description détaillée d’un navire en route vers Jérusalem, pour évoquer le royaume de France et sa société. Le voyage, et en particulier le voyage maritime, est l’image privilégiée pour décrire l’aventure de la vie humaine, notamment dans le discours des prédicateurs franciscains et dominicains, si bien que tout le vocabulaire maritime peut être interprété de manière métaphorique. Philippe de Mézières développe les métaphores dans une allégorie structurée, particulièrement complexe, où les parties du navires et les rôles de l’équipage sont expliqués, puis interprétés allégoriquement.
La séance de l’atelier tout d’abord a permis d’identifier les termes nautiques, leur étymologie et leur provenance régionale (il a été remarqué que les termes méditerranéens cotoyaient les termes du Nord ou de l’Ouest de la France). Les mots désignant les types de navire sont limités : nef, coque, caraque, et pour les petites embarcations : barche, palestrine. La plupart des détails de la description sont très réalistes, et correspondent à un grand navire marchand à voile de la fin du Moyen Âge, et non à une galère. En revanche, d’autres détails ne relèvent pas d’une description d’un bateau réel, mais relèvent déjà du domaine de l’allégorie : par exemple, les bois ou les métaux utilisés.
La plupart des mots sont expliqués par l’auteur lui-même, soit avec une périphrase, soit avec un synonyme. Il semble s’adresser à des lecteurs peu familiers de ce vocabulaire ; mais il glisse aussi dans ses explications le levier de la métaphore, c’est-à-dire le détail concret, ou la qualité physique, qui permettront le passage du sens littéral au sens figuré du mot. C’est ainsi que toute précision matérielle, qui semblait dans un premier temps renvoyer à une expérience concrète de la mer et de la navigation, glisse vers la métaphore : telle forme des parties du navire et des outils, tels matériaux utilisés, telle couleur, telles odeurs, prennent un sens symbolique qui est expliqué longuement par l’auteur dans la deuxième partie du texte.
La description de la boussole fait figure d’exemple central. On rappelle que la boussole est décrite pour la première fois en Occident dans des textes universitaires d’un anglais ayant étudié à Paris, Alexandre Neckam (mort en 1217) ; son usage est commenté par Albert le Grand et d’autres savants ; elle est utilisée également pour sa valeur métaphorique dans des poèmes courtois du XIIIe siècle, et dans des contextes religieux. L’aguille aimantée attirée par l’étoile polaire représente ainsi le coeur de l’homme attiré par la personne aimée, ou par la Vierge Marie, selon les cas. A l’époque de Philippe de Mézières, la métaphore de la boussole est donc courante : il la développe de manière complexe, en usant à la fois de l’allégorie de la navigation et de celle de l’alchimie ; la Vierge est représentée tantôt par la pierre d’aimant, tantôt par le diamant qui surpasse l’aimant, tantôt par l’étoile elle-même, stella maris.
En complément de cette enquête, la séance s’achève par la lecture et la traduction d’un extrait du De nominibus ustensilium d’Alexandre Neckam, où il est question non seulement de la boussole, mais aussi des différentes parties du navire. Il s’agit d’un glossaire à l’usage des étudiants. Les mots techniques en latin sont expliqués dans le corps du texte, mais aussi glosés entre les lignes, en français (avec des variantes importantes selon les manuscrits). Comportant des étymologies plus ou moins fantaisistes et des citations d’auteurs classiques (Lucain, Horace, Isidore), ce glossaire nous indique que le vocabulaire maritime développé par Philippe de Mézières, bien que certainement mis en pratique lors de ses nombreux voyages au temps des projets de croisade, relève aussi d’un savoir universitaire très courant dès le XIIIe siècle. On observe toutefois des différences importantes : Neckam décrit un navire muni de rames, et utilise surtout des mots d’origine latine, alors que Philippe de Mézières introduit davantage de termes non latins.
En conclusion, il apparaît que le glissement métaphorique est inhérent à la pédagogie médiévale. La recherche de l’étymologie des mots, héritée de l’enseignement du latin et illustrée par Isidore de Séville, fait grand cas de l’origine concrète des termes techniques ; cette origine matérielle permet à son tour de développer de nouvelles métaphores, morales, théologiques et politiques, fondées sur l’aspect, ou l’usage des objets nommés.

Au cours de la discussion, il a été souligné que, si le vocabulaire nautique employé a des origines ponantaises et méditerranéennes, les mots empruntés à la terminologie méditerranéenne sont très minoritaires (antenne, timon, arbre). En outre, la description faite par P. de Mézières d’un grand voilier de tradition manifestement méditerranéenne présente une grande cohérence technique résultant d’une juste connaissance à la fois de l’architecture et du gréement. Au-delà de l’allégorie, le document constitue un témoignage de valeur du point de vue de l’histoire des techniques nautiques et, plus particulièrement, des manoeuvres rarement décrites comme celles liées à l’établissement et à la réduction de la voilure, à l’usage des deux types de gouvernail ou encore à l’emploi de la sonde en plomb dont la base creuse est remplie de suif pour identifier la nature des fonds.

 3e atelier : « Construire un langage technique dans une deuxième langue »

11 mai 2015 : Christopher Fletcher : « Construire un langage technique dans une deuxième langue : l’anglo-français et la loi anglaise à la fin du Moyen Âge »

Les non-spécialistes sont parfois surpris de découvrir que la langue française a joué un rôle important dans l’évolution de la loi anglaise pendant toute la fin du Moyen Âge. Le français s’impose d’abord à l’oral dans les procédures de la Common Law, nouvellement formalisées à partir du règne d’Henri II (1154-89), alors que tous les écrits de la justice royale restent en latin. À partir de la fin du XIIIe siècle le dialecte anglo-normand, qui reste une langue vivante pour une fraction bilingue de la population (Rothwell, Trotter, Ingham), devient une langue de gouvernement utilisable à l’écrit, notamment dans les suppliques soumises au roi lors des sessions du Parlement, récemment institué, et dans les lois (les « statutes ») qui en sont issues. Plus étonnant encore peut-être, ce dialecte du français continue à être utilisé pour les suppliques jusqu’au milieu du XVe siècle et dans les « statutes », publiés dans la cour de chaque comté après chaque réunion du Parlement jusqu’en 1489.

Cette intervention propose quelques explications à la pérennité et à la lente disparition de l’anglo-normand dans la législation royale. Faut-il y lire l’intervention royale (Fisher, Richardson) ? L’incapacité du moyen anglais à servir aux besoins techniques de la législation et de la publication des lois, avant que cette langue ne soit restaurée par les poètes de la fin du XIVe siècle (idem) ? La décadence de l’anglo-normand comme moyen d’expression ? L’importance d’utiliser la langue anglo-normande pour exprimer des concepts techniques qui ont d’abord été élaborés dans cette langue (Baker, Brand) ? Le prestige de « la langue du roi » (S. Lusignan), et de la langue de la noblesse ? Et/ou l’intérêt des professionnels du droit pour garder la main sur une législation incompréhensible pour le plus grand nombre, finalement et lentement défaite par des sujets qui insistent pour que l’on garde les mots précis de leur supplique dans la loi qui en résulte (Ormrod, Dodd) ?

Nous nous sommes en particulier penchés sur deux textes, de 1423 et 1445, qui datent d’une période (le règne d’Henri VI) où nous avons de plus en plus de suppliques en langue anglaise, mais qui donnent toujours lieu à des lois en anglo-normand. Ils traitent de sujets techniques, aux implications importantes. La première paire de textes traite du maintien de la masse monétaire, essayant de réglementer le prix et la qualité d’objets en argent pour encourager leurs possesseurs à les faire transformer en monnaie royale. La deuxième paire insiste sur la nécessité de changer tous les ans le shérif de chaque comté, personnage clef de la Common Law et du gouvernement royal, comme les « Commons » (les représentants des comtés et des villes dans le Parlement) l’ont souvent demandé depuis deux siècles.

Dans les deux cas, la supplique et la loi ont été analysées de deux manières. D’abord, nous avons procédé à « l’alignement » des deux, sur le modèle des traducteurs automatiques qui tentent d’identifier des « parcelles » pouvant être traduites par des parcelles équivalentes dans une deuxième langue. Les résultats sont étonnants. La traduction est extrêmement fidèle ; on n’a normalement pas besoin de changer l’ordre des « parcelles » entre l’original et la traduction, voire l’ordre des mots. On aurait pu penser que ce procédé allait déformer la version traduite. Nous avons examiné chaque mot des deux documents pour savoir si le mot dans la loi en anglo-normand était bien un terme courant en français continental, et sinon s’il était connu en anglo-normand, et ce, depuis quand. Nous avons également observé s’il y avait des déformations de syntaxe liées au fait de procéder à une traduction aussi « fidèle ». En l’occurrence, tous les mots de la traduction sont attestés soit en moyen français continental, soit en anglo-normand. Il y a quelques tournures syntaxiques qui suggèrent l’influence du moyen anglais. Toutefois, il ne s’agit pas d’un « anglais déguisé ». Le français de ces documents est celui d’un dialecte légitime, quelques « excentricités » (Trotter) spécifiques à l’anglo-normand mises à part.

Nous concluons qu’il n’y avait pas de raisons techniques pour cesser d’utiliser l’anglo-normand dans les lois du roi au XVe siècle ; toutefois, il n’y avait pas de raisons techniques pour ne pas utiliser le moyen anglais non plus. La supplique qui forme la base de la loi étant si près de sa traduction, on aurait pu tout simplement la publier en anglais. On penche du coup pour l’explication de Dodd et Ormrod : lorsqu’on utilise l’anglais, c’est sous la pression de groupes sophistiqués qui maîtrisent bien l’écrit, mais qui se méfient d’un texte en anglo-normand, qu’ils peuvent probablement comprendre, mais pas aussi bien qu’un texte en anglais.

 4e atelier : « Le vocabulaire du vitrail du XVe au XVIIIe s. »

23 juin 2015 : R. Chossenot, « Le vocabulaire du vitrail du XVe au XVIIIe s. »
L’intervention avait pour but d’évoquer la formation de quelques termes du vocabulaire du vitrail, en français mais aussi dans d’autres langues (allemand, anglais). Il est vrai qu’il existe déjà un Dictionnaire spécialisé pour la langue française, celui de Nicole Blondel (Vocabulaire typologique et technique, 2004). Cet ouvrage, à visée technique et historique, permet d’identifier et de connaître l’origine d’un grand nombre de termes liés au vitrail, dont beaucoup sont des métaphores. Cependant, certaines appellations méritent attention, que ce soit pour ce qui relève du verre lui-même, des vitres ainsi que des techniques de fabrication.
C’est le cas de la « coupe en chef-d’œuvre », dite aussi « insertion à plomb vif », dont la réalisation aurait fait partie des épreuves imposées lors de la présentation du « chef-d’œuvre » à la maîtrise de peintre-verrier aux XVe-XVIe siècles. Le lien entre cette technique de coupe du verre ainsi que le passage du chef-d’œuvre qui semble lui avoir donné son nom mérite d’être analysé, dans la mesure où l’assimilation de l’une à l’autre semble assez récente. En effet, ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que les deux sont rapprochés, sous la plume du peintre et peintre-verrier Pierre le Vieil, dans son Art de la peinture sur verre et de la vitrerie (1774, p. 207). Le terme, d’ailleurs, semble bien français et ne pas connaître d’équivalent dans les autres langues.
Il nous semble que les textes antérieurs aussi bien législatifs, techniques que de la pratique, ne mentionnent pas cette technique, même si l’on peut se demander si celle-ci n’apparaît pas sous une autre appellation (implicite ?). Que réalisa, concrètement, le « painctre et verrier » de Châlons Mathieu Menget lorsqu’il présenta « certain verre rond qui estoit un escussion ouquel est un escu de daulphin » en guise de chef-d’œuvre au début du XVIe siècle ? La présence d’un « escu de daulphin » impliquait-elle le recours à la « coupe en chef d’œuvre », c’est-à-dire à l’incrustation d’« une pièce de verre, le plus souvent circulaire, en losange ou en étoile, de dimensions variées (…) dans la découpe pratiquée dans une pièce plus grande » (N. Blondel, p. 251-254) ? Dans la mesure où fort peu de vitraux anciens conservés en France de nos jours sont identifiés comme ayant été des « chefs-d’œuvre », il ne semble pas possible de répondre à cette question. Toutefois, on serait tenté de répondre par l’affirmative si l’on se réfère aux chefs-d’œuvre et aux modèles de vitraux utilisés par les guildes de peintres-verriers d’autres pays, en particulier ceux qui sont conservés pour les Pays-Bas aux XVIIe-XVIIIe siècles. Il s’agit de dessins ou de panneaux qui présentent en général, en partie centrale, l’insertion d’un écu aux armes de la ville ou du métier, lequel est manifestement inséré suivant cette technique.
La discussion qui s’ensuit invite à mener de nouvelles investigations, par exemple sur les autres appellations de cette coupe : d’où vient, par exemple, le terme « insertion à plomb vif » ? En outre, il semble qu’il faille distinguer deux histoires, celle de cette technique de coupe à proprement parler et celle du chef-d’œuvre dans le vitrail, les deux pouvant être étudiées à travers leurs témoignages matériels et manuscrits.

De même, mais sur un autre registre, la question se posait de savoir si certaines dénominations (verre « normand », « cives »…) dont on use couramment dans la recherche française sur le vitrail avaient des équivalents dans les autres langues. S’il n’est pas toujours facile de travailler sur les sources anciennes pour les autres pays (Angleterre ou Allemagne, par exemple), les quelques recherches menées font déjà état de quelques différences. Pour le verre, le domaine anglais montre quelques spécificités que l’on peut peut-être imputer à la faiblesse de la production de verre dans ce pays. Celle-ci obligeait à importer du verre venu du Continent et a entraîné l’apparition d’appellations spécifiques, comme le « Reynesglas », que l’on peut traduire par « verre rhénan » et qui correspond au verre « lorrain ». En ce qui concerne la forme des vitres, « les bornes » françaises semblent pouvoir se traduire, en anglais, par l’expression « diamand lattice », vocable qui réfère à l’aspect général de ces vitreries. Les « losynges » anglais seraient les « lozanges » français. Mais si le terme est d’usage courant en France, cela semble être beaucoup moins le cas en Angleterre au Moyen Âge. De fait, les discutants anglophones pensent qu’il était réservé à des contextes spécifiques.

L’exposé se termine par une évocation de quelques termes liés à l’entretien du vitrail. Repérés dans des contextes spécifiques, ils nous en apprennent beaucoup sur un domaine assez peu pris en considération par la recherche. On peut ainsi penser aux « ossières », sortes de « claies » qui tirent leur nom de la matière dont elles étaient faites, l’osier, et dont on trouve la trace dans l’Aisne, les Ardennes ainsi qu’en Seine-et-Marne. Peu coûteuses, elles pourraient avoir été posées du côté intérieur, afin de protéger provisoirement les vitraux durant des travaux.
C’est aussi le contexte de travaux qui pourrait expliquer le recours fréquent au « then » dans la basilique Notre-Dame de Mézières au cours du XVIe siècle : on s’en servit aussi bien pour « étouper » les verrières de l’église que pour les « voussures », mais son usage reste difficile à comprendre. S’il s’agit bien du « then » qu’on connaît plus généralement comme colorant, ce n’est selon toute évidence pas pour cette fonction qu’il a été utilisé, mais plus probablement, comme l’ont montré les discussions, pour son rôle d’isolant, qu’on retrouve dans la navigation.

 5e atelier : « Les mots du livre »

6 octobre 2015 : A. Tournieroux, « Les mots du livre »
Résumé à venir.

 6e atelier : « Le vocabulaire de l’ancre »

24 novembre 2015 : M. Sadania, « Le vocabulaire de l’ancre »
Cette séance a été dédiée au vocabulaire de l’ancre et s’est appuyée sur des recherches réalisées au cours de la thèse de l’intervenante intitulée Les ancres à jas de la façade atlantique de l’Antiquité au milieu du XXe siècle (thèse co-dirigée par Martial Monteil, Université de Nantes et Éric Rieth, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; et soutenue le 3 juillet 2015).
Les ancres à jas correspondent à une grande famille d’ancres présente depuis le VIIe av. n.è. en Méditerranée et perdurant jusqu’au milieu du XXe siècle. Le jas est un élément essentiel puisqu’il permet à l’ancre de mordre correctement le fond.
L’ancre est l’une des composantes de la mécanique du bateau (propulsion, direction, etc.), elle s’inscrit pleinement dans le système technique du mouillage et des manœuvres du navire. L’ancre constitue donc un élément de toute la lignée d’opérations nécessaires à l’immobilisation d’un navire en mer. La mise à l’eau d’une ancre nécessite en effet une préparation : ralentir l’allure du navire (réduction des voiles, amener le navire face au vent, etc.), parer la bouée, l’ancre, la suspendre sous le bossoir pour enfin donner le commandement de mouillez l’ancre !.
Une ancre sert donc à immobiliser un navire dans un lieu donné, mais participe également aux manœuvres courantes telles que le halage pour le positionner favorablement à l’entrée d’un port ou bien encore pour faciliter sa sortie contre vent et marée.

Dans le cadre de cette thèse, afin de comprendre l’objet dans son ensemble, deux glossaires ont été réalisés dans l’espoir de regrouper tous les termes propres aux ancres et de révéler de nombreuses pratiques courantes. Les objectifs étaient également de normaliser les termes propres à décrire une ancre, de s’interroger sur les évolutions de ces termes tant du point de vue de l’orthographe que de leurs sens, de mettre en évidence des usages différents selon les espaces nautiques et enfin de révéler la fréquence d’usage de ces termes.
Pour ce faire, vingt-et-un ouvrages datés entre le XVIIe siècle et le XXe siècle ont été étudiés. L’ouvrage le plus ancien est celui de G. Fournier de 1643 et le plus récent est l’ouvrage collectif de Soe, Dupont et Roussin de 1906. Ces ouvrages traitent généralement de la Marine, mais sont de nature différente : Dictionnaire de la Marine, Encyclopédie méthodique, traité de constructions navales, Répertoire polyglotte, etc. La formation de leurs auteurs est également variée et reflète là une connaissance pratique ou théorique de la Marine. Georges Fournier est par exemple un révérend jésuite, géographe, hydrographe et mathématicien. Blaise Ollivier est un ingénieur maritime, constructeur de vaisseaux. Jean-Baptiste Willaumez est quant à lui un officier de la Marine française, commandant de frégates. Ces glossaires s’intitulent, pour l’un, Terminologie de l’ancre selon plusieurs auteurs du XVIIe au XXe siècle et, pour l’autre, Définition des termes relatifs aux ancres selon plusieurs auteurs du XVIIe au XXe siècle.
Une ancre se compose en effet de plusieurs pièces assemblées qui portent alors chacune une dénomination : les bras, les pattes, la verge, la culasse, etc. Revenons désormais sur quelques termes.
- La patte est le terme qui désigne l’extrémité des bras et cette partie est destinée à s’enfoncer dans les fonds marins. Ce mot apparaît dans l’ouvrage de G. Fournier en 1643. Son sens n’évolue pas et son orthographe varie peu entre patte et pate. La patte se compose d’oreilles et d’un bec. Les oreilles correspondent aux parties débordantes et le bec forme la pointe extrême. Les discussions ont ainsi souligné le paradoxe de ce vocabulaire qui associe un bec à une patte.
- Le jas désigne la pièce transversale aux bras de l’ancre qui peut être de nature différente en fonction des époques (pierre, plomb, fer, bois, etc.). Cet élément est probablement celui qui dispose du plus grande nombre de dénominations : jas (Fournier 1643), jât (Lescallier 1791), jouët (Ozanam 1691), jouail (Bourdé de Villehuet 1773), jouaille (De Chesnel 1862-64), essieu (Fournier 1643), assieu (Ozanam 1691), cape de l’ancre (Willaumez 1831). Les orthographes sont nombreuses, mais les définitions sont identiques, Jean-Baptiste Willaumez précise toutefois que l’expression cape de l’ancre est d’origine méditerranéenne. De ce terme découlent des verbes : enjaler, enjauler, surjaler dont la signification est toujours liée au jas. Soit il concerne son assemblage à la verge, soit une situation périlleuse de mouillage, avec un câble d’ancre emmêlé autour du jas.
- De très nombreuses expressions existent pour décrire les techniques de mouillage, les manœuvres de mise à l’eau et de remontée de l’ancre, ainsi que la position du navire par rapport à son ou ses ancre(s). Ainsi, on pourrait proposer pêle-mêle : arer, chasser, brider l’ancre, courir sur son ancre, déraper, gouverner sur son ancre, serper, soulier, etc.

La terminologie de l’ancre est très riche et complexe avec des termes provenant du vocabulaire humain et animalier. Cette terminologie savante est à l’image des défis auxquels doivent répondre les ancres. L’apparition de ce vocabulaire demeure encore floue, certains termes semblent venir de l’usage courant des marins tels que l’emboudinure ou les couillons. De nombreux aspects devront être développés à l’avenir afin d’avoir une meilleure connaissance de l’apparition, la diffusion et l’évolution de ces termes. Toutefois, les recherches conduites ont contribué à une compréhension accrue de l’objet et de ses usages.