La lettre du LAMOP

« Les notables ruraux du contado florentin, Valdarno Supérieur et Chianti (XIIe-XIIIe siècle) », par Philippe Lefeuvre,

Les campagnes de l'Occident médiéval, loin de se résumer à l'opposition entre paysans et seigneurs, étaient animées par d'importants groupes sociaux intermédiaires. Les campagnes florentines étaient, au XIVe siècle, dominées par un milieu détaché du quotidien paysan et formant une notabilité de commerçants, d'artisans ou de notaires. Ces individus renvoient à l'idéal-type du notable rural élaboré par le sociologue Robert Mendras et leur fonction était essentiellement de servir de relais entre le pouvoir englobant, ici la Commune de Florence, et les communautés rurales de son territoire. L'existence de cette notabilité distincte de l'aristocratie foncière classique traduit bien l'ascendant qu'exerçait désormais la ville sur sa campagne. Il s'agit pour nous d'établir la généalogie de cette notabilité en considérant la documentation ecclésiastique disponible pour les XIIe et XIIIe siècles, en remontant aux premiers pas de l'État communal florentin. Le choix s'est porté sur trois abbayes vallombrosaine - San Casciano di Montescalari, Santa Maria di Vallombrosa, San Lorenzo di Coltibuono - situées dans le quart sud-est du contado florentin dont les parchemins, accessibles en ligne, sont conservés à l'Archivio di Stato de Florence. En s'appuyant sur une documentation de plus de 2000 parchemins, en majorité inédits, on a constitué une base de données permettant de connaître l'ensemble des intervenants de ces actes, pour la plupart des transactions foncières au bénéfice des abbayes. On étudie ainsi, en se concentrant sur quelques localités, l'évolution du monde des intermédiaires entre communautés rurales et seigneuries monastiques. L'accumulation des données permettant de pallier le caractère fragmentaire d'une documentation souvent laconique sur ces niveaux sociaux, on obtient ainsi un tableau d'ensemble dans laquelle les distinctions nettes entre clercs et laïcs ou entre élites rurales et petite aristocratie s'effacent devant l'évidence des données économiques. Propriétaires ou bénéficiaires de baux emphytéotiques, tous appartenaient à une classe de possessores, ou medium owners pour reprendre l'expression consacrée par Chris Wickham, capable de vivre de ses rentes foncières. Ces individus pouvaient ainsi consacrer du temps à d'autres activités et bénéficiaient d'assez de liquidités pour se livrer au crédit, élément central de l'entretien d'un réseau plus ou moins étendu d'obligés. La différenciation, à l'intérieur de cette classe, venait davantage des fonctions exercées : membre de la petite vassalité guerrière ; notaires ; clercs ou frères convers ; artisans. Dans le contado florentin du XIIe siècle, une mosaïque de petites sociétés dominées par des institutions ou des familles locales, les élites rurales adoptaient des formes de distinction qui les intégraient au cadre seigneuriale et les rapprochaient de l'aristocratie foncière. L'existence de communes rurales n'étaient pas une limite à l'affirmation d'un milieu relativement étendu de milites. À partir des années 1220-1230, les institutions florentines s'imposaient toutefois au détriment des pouvoirs locaux. C'était dès lors une notabilité nouvelle qui s'affirmait, notabilité en partie affranchie des liens avec l'aristocratie et qui négociait sa position hégémonique locale à une échelle nouvelle. Si les sources suggèrent de fortes continuités entre élites du XIIe siècle et notables enrichis du XIIIe siècle, elles nous obligent à nous interroger sur la capacité d'adaptation des figures émergentes de la paysannerie à des conditions institutionnelles nouvelles. C'est en somme la participation des milieux aisés de la population rurale à la création du nouvel État florentin qu'il s'agit par ce biais de mettre en lumière.

FOCUS : «La compétition dans les sociétés occidentales du haut Moyen Âge (Ve-XIIe siècle)», par Régine Le Jan