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Accueil du site > Champs de recherche > Espaces – réseaux – communautés > La formation des communautés d’habitants au Moyen Âge > Présentation

Présentation

En 2002 a été envisagé au sein du LAMOP le programme collectif de recherches « La formation des communautés d’habitants » (avec un financement propre, assuré par l’IUF). Il s’agissait de reprendre à frais nouveaux un problème concernant l’ensemble de l’Occident médiéval à partir du XIe s. et qui avait connu une certaine vogue durant les deux décennies antérieures dans divers pays, où l’on s’était toutefois appuyé sur des présupposés notionnels et méthodologiques très différents (le rôle central des communaux en Allemagne selon K.S. Bader, le communalisme de P. Blickle, le caractère décisif de la conscience communautaire selon R. Fossier, l’héritage wisigothique chez divers auteurs espagnols ou latino-américains, etc.). Il n’existait ainsi pas d’approche scientifique « internationale » du phénomène, mais une multiplicité d’approches particulières, menées à l’aide d’un outillage conceptuel hétérogène et souvent préconstruit, à des échelles diverses et sur des corpus variés, rendant particulièrement difficiles un croisement et une comparaison des données. Par ailleurs, beaucoup de ces travaux se sont focalisés principalement sur le problème de l’autonomie (ou non) desdites communautés, en s’appuyant éventuellement sur l’examen des chartes de franchises/coutumes ou des fueros, et/ou en mettant en parallèle (voire équivalence implicite) communautés d’habitants et communes. À cela s’ajoutait encore une séparation fréquente des travaux portant sur communautés rurales et communautés urbaines.
Étant donné la généralité et l’importance du phénomène des communautés d’habitants, qui touche tant les aspects matériels qu’idéels de la société médiévale (et moderne), il était impératif de dépasser les divers enfermements théoriques au profit d’une approche commune qui, seule, serait susceptible, d’une part, de faire apparaître les nuances et particularités de tel espace ou écosystème par rapport aux autres ; d’autre part d’intégrer mieux que cela n’avait été fait jusqu’alors les résultats archéologiques (quand il y en a) ; enfin de tenir l’équilibre entre l’examen des aspects matériels et idéels du phénomène. En particulier, il apparaissait souhaitable de se placer dans une perspective qui permette de dépasser l’approche en définitive « intentionnaliste » de beaucoup de travaux (qui envisagent la formation des communautés comme le résultat d’une volonté ou stratégie seigneuriale, cléricale ou paysanne), au profit d’une approche plus abstraite (fondée sur l’examen des rapports sociaux configurés par le processus), plus orientée vers le « comment ? » que vers le « pourquoi ? » L’hypothèse d’amorçage du travail a été la suivante : l’avènement des communautés d’habitants constitue l’aboutissement d’un processus multiséculaire d’encadrement social, fondé à la fois et indissolublement sur la fixation au sol de la population (fixation d’autant plus efficace qu’elle devient, au sens de P. Bourdieu, de plus en plus « douce », ou « symbolique », schématiquement : par le passage du servage à l’appartenance paroissiale et à « l’esprit de clocher ») et sur la marginalisation des rapports de parenté au sein du système social (qui aboutit à ne plus faire de l’appartenance parentale le fondement de l’appartenance sociale, i.e. du positionnement au sein des rapports de production). Le remplacement historique (ici schématisé) des rapports de parenté par des rapports autour du sol – que la question du « pourquoi ? » ne permet évidemment pas d’éclairer – reposerait ainsi à la fois :
- 1) sur la désarticulation des solidarités parentélaires par les contraintes exogamiques massives auxquelles la société occidentale a été soumise à partir de l’époque carolingienne et dont le contrôle clérical s’accroît depuis le XIe s. (même si leur respect absolu n’a jamais été obtenu – mais pas non plus réellement visé). C’est d’ailleurs dans le cadre des communautés d’habitants que ce contrôle s’organise de plus en plus, avec la collaboration des habitants eux-mêmes (bans de mariage, visites pastorales, charivari, etc.) ;
- 2) sur la promotion de formes parentales alternatives, le modèle de la famille conjugale (dont la pertinence sociale est garantie à la fois par le modèle matrimonial et par le système « fiscal » centré sur le « feu ») et la parenté spirituelle – fondée sur le baptême qui non seulement déclasse symboliquement la naissance charnelle, mais en outre crée ipso facto un rapport de parenté entre tous les chrétiens, qui n’exclut pas des proximités spirituelles plus marquées (parrainage, confréries) ;
- 3) sur la promotion d’une logique spatiale qui conduit à considérer que l’appartenance sociale est médiatisée par l’appartenance spatiale : tel mode d’inscription spatiale i.e. la manière d’être en tel endroit) définit non seulement l’identité sociale de la personne (éventuellement dès son anthroponyme, sinon à travers des catégorisations comme « ceux de [tel lieu] », « les bourgeois de Paris », etc.), mais surtout les rapports entre ceux qui relèvent de la même unité spatiale (ce qui présuppose un découpage idéel de l’espace, en particulier en lieux).
L’avènement des communautés d’habitants correspondrait ainsi à celui d’une morphologie sociale spécifique : un ensemble de feux (plus ou moins aggloméré) dont la cohésion ne reposerait pas sur des rapports de parenté (même s’il peut y avoir une certaine endogamie) mais sur l’idée d’appartenance commune à un même espace (référé à un lieu) ; l’articulation des feux correspondrait essentiellement à l’organisation productive, dont la reproduction à long terme serait assurée par la fixation accrue des populations à l’espace habité.

Mais si l’on admettait que la caractéristique principale du rapport social qui se met en place à travers l’avènement des communautés d’habitants est sa dimension spatiale (non seulement structurelle, mais aussi référentielle), il importait alors de prêter une attention particulière à la seconde partie du syntagme « communauté d’habitants » – si bien que le projet de recherches pouvait aussi être envisagé sous la dénomination « Qu’est-ce qu’habiter ? ». En effet, « habiter » ne peut être réduit à un besoin anthropologique primaire, celui d’avoir un toit sur la tête : habiter est une pratique spatiale qui réalise concrètement (i.e. matériellement et formellement) un rapport social ou un ensemble de rapports sociaux. L’unité de base de la communauté d’habitants, le « feu », constitue non seulement une unité de résidence durable (une « demeure »), mais aussi une unité de production intégrée. C’est pourquoi le feu pouvait être caractérisé comme une « unité d’occupation » (en jouant sur les deux sens du verbe « occuper » : l’unité que l’on occupe et dans laquelle on s’occupe).
Cela impliquait aussi de ne pas examiner séparément le cas rural et le cas urbain. Si l’on considère que la ville est une communauté d’habitants, et qu’une communauté d’habitants a quelque chose à voir avec une organisation productive locale supra-individuelle, alors on devait faire l’hypothèse que certains aspects de l’organisation de la communauté urbaine pouvaient correspondre à cette organisation productive locale. Or, on sait que la période en question est également celle qui voit l’apparition de l’organisation urbaine des « métiers », habituellement conçus comme une sorte de précurseurs de la Sécurité Sociale et comme les signes du caractère anti-libéral de l’économie médiévale. L’organisation des « métiers » serait ainsi précisément ce qui permet à la ville (et donc à la communauté d’habitants) de fonctionner comme cadre d’organisation productive. Le même genre de questionnement doit être mené à propos des liens entre communauté d’habitants et paroisse, puisque la coextensivité postulée entre paroisse et communauté d’habitants rurale n’est plus possible dans les villes (quoique beaucoup de villes, notamment dans l’Empire et indépendamment de leur importance démographique, n’aient eu et conservé longtemps qu’une seule paroisse). Ce qui aurait pu permettre de faire de la communauté d’habitants une communauté de salut pourrait alors être les confréries, qui semblent aussi fonctionner un mode d’appartenance urbaine. L’examen du cas urbain était ainsi non seulement indispensable à un dépassement d’une opposition villes/campagnes réifiée à la fin de l’époque moderne et dans le système social contemporain, mais aussi parce qu’il soulève quelques problèmes logiques qui, sinon, n’apparaîtraient pas clairement dans l’un ou l’autre cas (urbain ou villageois).

Il convenait donc de mettre à plat les concepts historiographiques interdisant ou biaisant la comparaison, de s’interroger sur la place possible des rapports de parenté (charnelle et/ou spirituelle) au sein d’une communauté référée à l’espace, enfin d’examiner concrètement (par des études de cas) l’organisation spatiale (et non pas de l’espace) et productive (et non pas de la production) qu’on appelait spécifiquement, ici, « habiter ».
La première dimension (mise à plat historiographique) ne pouvait se faire que dans le cadre d’une rencontre internationale, organisée en juin 2003 à Xanten, rassemblant des médiévistes provenant d’horizons variés – non seulement du point de vue géographique (France, Allemagne, Espagne, Grande-Bretagne, Italie) mais surtout des systèmes socio-productifs concernés (domaine/manoir vs. seigneurie, seigneurie vs. fermage/métayage, développement endogène vs. colonisation, seigneurie féodale vs. seigneurie urbaine, etc.), sans oublier l’impact des échelles spatio-temporelles d’analyse (d’où la présence également d’une archéologue). Afin de garantir un réel croisement des perspectives, la rencontre a alterné des bilans historiographiques généraux assurés par un médiéviste du pays concerné et la lecture critique d’un ouvrage du pays en question par un médiéviste issu d’un autre pays [1].
La rencontre de Xanten a montré tous les obstacles historiographiques à l’étude de la formation des communautés d’habitants : les traditions nationales et les graves difficultés notionnelles, le caractère mythique des communautés pensées comme ancêtres des sociétés contemporaines, l’insuffisance de nos instruments d’analyse sociale, les problèmes du choix des échelles d’analyse pertinentes et de l’intégration des spécificités locales, la compréhension de l’articulation entre discours et pratiques sociales, etc. Xanten nous a aussi confirmés dans la nécessité de dépasser l’opposition ville/campagne et nous a rappelé le lien essentiel entre la communauté et le finage en tant qu’espace d’appropriation de ressources (agricoles ou non) et, inversement, l’aspect secondaire du caractère aggloméré de l’habitat._À l’autre extrémité de la chaîne scientifique (la première étant constituée par les traditions historiographiques) se trouvait le concept censé rendre compte de l’organisation spatiale et productive à laquelle était censée correspondre la formation des communautés d’habitants : habiter. C’est donc à l’« habiter » qu’a été consacrée la deuxième rencontre (Gif, 2005) : après l’examen d’où l’on vient (2003), la définition de l’horizon vers lequel on tendait (2005) [2]. Il s’agissait notamment de voir si le processus de formation des communautés est bien, au moins en partie, un processus de spatialisation du social dont « habiter » serait la réalisation, donc si l’histoire de l’« habiter » constituait une voie d’approche pertinente de l’histoire des communautés. Deux approches ont été principalement adoptées : une approche sémantique (examen de l’usage de termes susceptibles d’être pertinents : habiter/habitare/wohnen, etc.) et une approche « pratique » (examen des pratiques dont nous considérions qu’elles peuvent être liées à l’« habiter » médiéval : résider/exploiter/voisiner, etc.).
Apparaît également un double niveau de formation des communautés, par rapport à leur extérieur (« exclus externes »), les seigneurs, et par rapport à leur hétérogénéité interne (« exclus internes ») : selon les cas, les nobles, les serfs, les forains, divers groupes enclavés.

Après une interruption du programme liée à la relative démobilisation de certains participants, le programme a été relancé en 2010 sur une base très différente, tant du point de vue de la conception de l’objet que de l’organisation des travaux.
D’une part, l’objet lui-même a été problématisé de manière plus dynamique que la simple explication à trouver à un changement social lié à une modification des rapports spatiaux, jusqu’alors envisagée sous l’angle de « l’habiter », dont la rencontre de 2005 avait montré à la fois la pertinence en tant que « concept » d’analyse mais l’inadéquation comme « objet » –même d’investigation. Désormais, la formation des communautés d’habitants était donc envisagée comme celle de communautés « d’installés » (notion qui permet de dépasser l’évidence de « notre » rapport à l’habitat), même si l’intitulé du programme restait inchangé pour des raisons de lisibilité. Surtout, on insistait sur la contribution fondamentale des « communautés d’installés » à la domination sociale.
Pour ce qui est de l’organisation des travaux, priorité a été donnée désormais à des rencontres plus resserrées et plus fréquentes, en l’occurrence deux rencontres annuelles (au printemps et en automne) sous une forme d’ateliers de deux jours pour un groupe régulier d’une dizaine de membres. Ces deux jours étaient organisés de manière précise : une première journée destinée à un travail théorique et/ou historiographique, et la seconde journée à l’étude collective de deux cas (un le matin, un l’après-midi) présentés chacun par un des membres du collectif, sur la base d’une documentation envoyée à l’avance à tous et d’un exposé d’analyse consistant réalisé par le chercheur en question en présence des autres, la connaissance du dossier documentaire et le temps imparti à chaque contribution devant permettre un travail détaillé et fructueux. Le collectif en question compte pour moitié des membres du LAMOP (J. Demade, J. Morsel, H. Noizet, M. Ramage), l’autre moitié étant des chercheurs associés plus ou moins officiellement au LaMOP (J. Dumasy, E. Grélois, L. Kuchenbuch, S. Leturcq) et entretient par ailleurs un rapport étroit avec le laboratoire FRAMESPA de Toulouse II-Le Mirail, qui assure le financement de la participation de ses deux membres (E. Huertas, R. Viader).
L’objet des travaux en commun est finalement devenu de comprendre la nature sociale et le fonctionnement des communautés d’habitants. Sur la base de documentations variées (actes de procès et textes juridiques, chartes de coutumes et statuts communaux, visites pastorales, inventaires, censiers et baux, vues figurées, etc.), il s’est agi de tenter d’en saisir la spatialité spécifique, les aspects normatifs, l’organisation productive (rurale ou urbaine), les modalités d’appropriation du territoire, les rapports avec les formes de l’habitat ou les feux, l’articulation avec les paroisses ou la dîme.

Un colloque final a été organisé à Tours en mai dernier, rassemblant les membres du groupe et trois critiques extérieurs, provenant de trois horizons linguistiques et plutôt spécialistes de trois périodes médiévales distincts (M. Bourin, W. Davies et S. Teuscher). Chaque demi-journée était consacrée à la discussion d’un texte, assorti d’un dossier documentaire, qui avaient été envoyés à l’avance (il n’y avait donc pas de communication à proprement parler). Les textes en question pouvaient correspondre ou non à ce qui avait déjà été présenté lors des séances précédentes, mais en intégrant à la fois les remarques qui avaient alors été formulées et l’ensemble des réflexions développées au fur et à mesure dans le groupe. Le financement de cette rencontre a été assuré, à Paris 1, par le LAMOP, l’IUF (H. Noizet) et un BQR, ainsi que par le FRAMESPA, le LAT (Tours) et le Rigsarkivet de Copenhague (M. Gelting). La publication des actes de cette rencontre (chaque texte étant assorti, là encore, de documents publiés) est prévue aux Publications de la Sorbonne dans la collection du LAMOP, avec une introduction de J. Morsel et une conclusion de L. Kuchenbuch.


[1] Cf. le programme et les communications en ligne.

[2] Cf. l’introduction du colloque en ligne.