Les auteurs scolastiques ont été largement revisités ces dernières années dans le sens d’une lecture plus sociologique de tous les petits et grands cas de « morale pratique » qui amènent les théologiens du XIIIe siècle à réfléchir sur les fondements de la vie en communauté. Dans cette dynamique illustrée, entre autres, par Alain Boureau et son équipe de l’atelier d’anthropologie de la scolastique, il y a lieu de revenir sur la notion d’« Église » pendant et après la querelle des universaux. Revenant à nouveaux frais sur le tournant fondateur de l’« esprit laïque » cher à Georges de Lagarde, le sociologue Louis Dumont a mis l’accent sur les effets à longs termes du nominalisme et, tout spécialement, de l’œuvre de Guillaume d’Ockham (1285-1347). Celle-là marquerait le passage de l’uniuersitas médiévale à la societas moderne (ou pré-moderne). Ockham est amené à prendre ses distances par rapport à la double référence traditionnelle entre l’homme en tant qu’individu privé en relation directe avec son créateur et l’homme, membre de la communauté, partie du corps social.
À Thomas d’Aquin, qui différenciait des « substances premières » (les êtres particuliers, Pierre ou Paul) et des « substances secondes » (genres, espèces, catégories, classes d’êtres), Ockham et le nominalisme opposent qu’il n’existe pas de « substances secondes » mais un simple phénomène de réification, c’est-à-dire l’emploi de termes généraux et arbitraires qui trouvent leur fondement et leur raison d’être dans la réalité empirique mais qui ne signifient rien en eux-mêmes. Cette prise de position marque la naissance de l’individualisme dans la philosophie et dans le droit, car elle pose qu’il n’y a rien d’ontologiquement réel au-delà de l’être particulier (ou substance première) ; ce faisant, Ockham étend la liberté de l’individu, traditionnelle dans le christianisme, du plan de la vie personnelle à celui de la vie en société. Ce tournant marquerait le passage du religieux (l’Église comme Tout de la société) au politique (l’État comme Tout social).
Mais peut-être Ockham n’a-t-il pas, à court et moyen terme, tout l’impact ecclésiologique que lui prête Dumont ; en effet, il ne manque pas, jusque dans les années 1500, de tenants d’un réalisme ecclésial dur, c’est-à-dire définissant l’Église comme une unité essentielle, comme une substance qui existe en elle-même antérieurement à la différentiation de ses membres individuels conçus comme de purs « accidents ». Telle est l’hypothèse qu’on aimerait éprouver à l’étude de quelques traités De Ecclesia des XIVe et XVe siècles – une littérature immense, souvent riche d’inédits, qu’on s’efforcera de parcourir méthodiquement en s’attardant sur certains cas particuliers, tel l’anonyme dominicain de 1387, dont l’étude préliminaire a été entreprise par Hélène Millet.
Les travaux envisagés ici prendront la forme d’un séminaire orienté vers l’édition et le commentaire de textes.