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Le lieu du chantier
Le chantier est une notion ambivalente et paradoxale. Comme il peut être fixe ou itinérant, ouvert ou fermé, désordonné ou organisé, la diversité des actions qui s’y déroulent contribue à brouiller notre compréhension du monde de la construction. Notre propos serait de montrer que cette difficulté de saisir le chantier ne nous empêche pas d’en avoir une vision complète. En effet, le chantier est un lieu de vie, de partage à la fois de la peine (travail) comme du savoir (apprentissage), de la violence (contestation) comme de la solidarité (repas, repos). La « loge », comme la chambre au trait, autant de manifestations de l’éclatement du chantier constructif, constituent-ils des épiphénomènes médiévaux ou perdurent-ils à l’époque moderne ?
Introduction de la séance
Bibliographie
Michaël WYSS (Unité municipale d’archéologie de Saint-Denis) et Jean-Pierre GELY (Muséum national d’Histoire naturelle de Paris et Lamop) : « L’approvisionnement en pierres de construction du chantier monastique de Saint-Denis vu par les textes, la géologie et l’archéologie du bâti (XIIe-XVe siècles) » [2]
Vers 1137, Suger décide d’agrandir la basilique carolingienne. L’approvisionnement traditionnel du chantier en pierre d’appareil qui provient de Carrières-sur-Seine (appelées anciennement Carrières Saint-Denis), apparaît certainement insuffisant et inadapté pour répondre au programme architectural envisagé. En parlant de la construction du massif occidental, Suger laisse entendre qu’il était préoccupé par la recherche de nouvelles carrières produisant des pierres de bonne qualité. En révélant un changement de la nature des pierres calcaires mises en œuvre, l’analyse géologique et archéologique confirme ce témoignage écrit. Dorénavant, le chantier de l’abbatiale se fournit dans les centres carriers situés dans les faubourgs parisiens de Saint-Marcel et de Saint-Jacques, sur la rive gauche de la Seine, ainsi qu’à Charenton-le-Pont, sur la rive droite. Ce schéma d’approvisionnement perdure tout au long du XIIIe siècle. Dès le début du XIVe siècle, la pierre de l’Oise (Saint-Leu-d’Esserent / Saint-Maximin) se substitue progressivement à la pierre de Paris sur le chantier de l’abbatiale. Cette évolution se généralise dans toute l’Île-de-France au cours du XVe siècle.
Juan Clemente RODRIGUEZ ESTÉVEZ (Université de Séville) : « Les chantiers de la cathédrale de Séville autour de 1500 » (La obra de la catedral de Sevilla en torno a 1500) [3]
La construction de la cathédrale gothique de Séville a commencé en 1433 et s’est poursuivie jusqu’au XVIe siècle. En 1507, on inaugura l’édifice, qui ne fut cependant définitivement achevé que dix ans plus tard, suite à l’effondrement de sa tour-lanterne en 1511.
Dans notre intervention, nous proposons une étude du chantier de la cathédrale autour de l’année 1500, alors qu’il touche à son terme. On peut alors observer un organisme parfaitement rodé, doté d’un service administratif et d’une organisation du travail solides, perfectionnés pendant des décennies et dont les ramifications se sont étendues à toute la région ; mais ce projet en perpétuelle révision, appelé à relever son dernier grand défi, prend également une nouvelle tournure.
L’édifice en construction et l’édifice construit forment les deux faces d’une réalité qui eut une extraordinaire influence sur toute l’architecture religieuse du monde hispaniqueLa obra gótica de la Catedral de Sevilla se inició en 1433, extendiéndose los trabajos hasta el siglo XVI. En 1507, se inauguró un edificio, que debió demorar su conclusión definitiva durante una década, por el derrumbamiento del cimborrio, producido en 1511.
En nuestra intervención, planteamos una aproximación a la obra de la catedral en torno al año 1500, cuando afrontaba su conclusión. Entonces podía observarse un organismo bien engrasado, dotado de un sólido aparato administrativo y laboral, perfeccionado durante décadas, cuyos tentáculos se extendían a toda la región. Pero, también, la aparición de nuevos aspectos asociados a un proyecto en continua revisión, llamado a resolver su último gran reto.
La obra constructiva y la obra construida forman las dos caras de una realidad, cuya influencia en la arquitectura religiosa del mundo hispánico fue excepcional.
Luc TAMBORERO (entrepreneur, tailleur de pierre de l’Association ouvrière des Compagnons du Devoir du Tour de France (AOCDTF), chercheur associé au laboratoire Géométrie Structure Architecture (GSA) - ENSA Paris-Malaquais, diplômé de l’EHESS) : « Du trait au chantier, les épures de la voûte d’Arles. » [4]
Le chantier de l’hôtel de ville d’Arles illustre pour la première fois en France la manière d’une nouvelle architecture et de la pratique de son métier.
Au premier matin de l’Académie Royale d’Architecture, le trait sort de la loge et s’installe sur le chantier, abstrait mais rapide, scientifique mais simple. L’architecte récupère le compas d’appareilleur et se positionne en maître du chantier comme de l’ouvrage.
Allan POTOFSKY (Université Paris-Diderot) :« Comment la Révolution fit irruption sur les chantiers de construction à Paris. » [5]
Cette contribution se propose d’étudier la façon dont la Révolution fit irruption dans la construction privée et publique parisienne. À l’époque de la Révolution, la fragilité du secteur du bâtiment à Paris fut d’abord sensible dans les chantiers privés. Puis, comme aujourd’hui, la crise financière et l’incertitude politique conjugués affaiblirent les marchés du logement et du travail. Mais le printemps 1791 s’accompagna de circonstances favorables à une amélioration, ce qui permit la reprise de la construction publique et privée, après la transformation des assignats en papier-monnaie. L’assignat eut donc pour conséquence inattendue d’encourager la construction. La reprise des chantiers privés entraîna celle des chantiers publics : le Palais de justice, le Louvre et le pont de la Concorde offrirent des emplois supplémentaires.