Filmer la construction des voutes
Introduction, Philippe BERNARDI
Résumés et présentation des auteurs
Florian RENUCCI (Maître d’œuvre de Guédelon), « La construction d’une voûte d’ogive à Guédelon (Treigny, Yonne) ».
Résumé. Construire un château aujourd’hui sur un modèle du XIIIe siècle et à la manière du XIIIe siècle est un pari pour le moins audacieux : les archives de chantier sont rares pour cette époque et le peu qui nous a été transmis (chroniques, chartes, comptes de construction…) ne révèle pas grand-chose sur les hommes, ni sur les techniques. Par chance, lés édifices du Moyen Age, eux, sont très bavards, pour qui sait entendre et examiner.
Suite à une étude archéologique réalisée sur son château de Saint-Fargeau, Michel Guyot eut l’idée de bâtir un château médiévale avec toutes les méthodes déployées à l’époque. Maryline Martin se charge du projet : trouver un lieu, convaincre les administrations, trouver les partenaires, obtenir les autorisations nécessaires, recruter les premiers ouvriers… Le terrain est trouvé en forêt de Guédelon. Jacques Moulin, architecte des Monuments historiques en dessine les plans. Le site regorge de matières premières nécessaires à la construction. Le permis est déposé en 1997 et le chantier ouvre au public un an plus tard. Il est prévu qu’il dure jusqu’en 2025. Florian Renucci en est le maître d’œuvre. Le chantier d’archéologie expérimentale se développe avec 65 salariés dont environ 35 sont à pied d’œuvre aidés par une main d’œuvre temporaire de près de 650 amateurs par an. Il s’adjoint un comité scientifique composé d’archéologues, d’architectes et d’historiens.
Une voûte d’ogives est prévue dans la salle basse de la tour maîtresse de la chapelle. Elle est réalisée au cours des 13e et 14e saisons du chantier. Comprendre la fonction technique et symbolique de l’ouvrage, pour proposer des plans d’exécution obéissant aux cahiers des charges archéologiques, tel est le défi que Florian relève et que nous découvrons à travers ce document filmé unique.
Camilla MILETO et Fernando VEGAS (Architects and professors at the Universitat Politècnica of València (Spain)), « The Catalan Vault (14th-21st c.) : 700 years of history » [1]
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Résumé. Apart from some primitive precedents found in the architecture of Al-Andalus, the Catalan vault that we still use nowadays for building purposes, is documented from 14th century on in some religious and residential buildings of the city and province of Valencia. This intelligent combined use of ceramic tiles and gypsum that allowed building vaults at a great speed and at a reasonable price without using centering was employed during the following centuries both for domestic uses (stairways and jack arch floors) and public uses (vaults and domes of religious and monumental buildings). In this historic process we can point out some figures like the Aragonian architect Juan Jose Nadal, outstanding not only for his own buildings but also for having inspired the work of the Valencian architect Rafael Guastavino, who improved the technique by using cement mortar and exported it to the USA and a dozen of other countries, where he and his son built more than 1.000 monumental buildings. The success and full validity of this technique in the 21st century, that still witnesses its use both for restoration and new architecture, show that the efficiency, economy and fireproof virtues of the Catalan vault have not diminished with time and continue to be competitive in front of the reinforced concrete.
Caroline BODOLEC (Chargée de recherches CNRS, Centre d’Étude sur la Chine Moderne et Contemporaine, UMR 8173 Chine, Corée, Japon) et Elodie BROSSEAU (Sinologue), « Yaodong. Petit traité de construction. Documentaire - 89’ – 2012 » [2].
Prix du Patrimoine culturel immatériel. Festival du Film ethnographique Jean Rouch (2012)
©AnimaViva Productions / EHESS-CNRS/
Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine / Nov. 2012 Animaviva Productions - Gilles Boustani, Sylvie Carlier (contact@animaviva-prod.com)
En Chine, dans la région du Shaanbei, les yaodong , habitats voûtés d’origine troglodytes, sont aujourd’hui construits en pierre adossées aux flancs des montagnes. Leur construction s’opère sans plan d’architecte, selon un savoir-faire transmis oralement. Sur les chantiers ou en franchissant les portes, la réalisatrice nous emmène à la rencontre des artisans et des habitants. A l’écoute de leurs petites ou grandes histoires et, tout en partageant leurs rituels, peu à peu, par petites touches, se constitue le puzzle d’un instantané de la « culture yaodong » d’aujourd’hui.
Note d’intention de Caroline Bodolec
Je suis le processus de construction d’un yaodong tout en découvrant les habitants d’une région en plein cœur de la Chine. De par l’attention qu’ils portent à sa construction, du savoir-faire qu’ils perpétuent au travers d’elle et les rituels qui l’accompagnent, se dévoile peu à peu un mode de vie.
Tout comme les yaodong en terre (forme troglodyte du yaodong) peuvent paraître invisible à l’œil nu pour celui qui ne fait que traverser ces montagnes, leur culture et leur mode de vie sont tout autant discrets et pourtant, enracinés dans l’ancestrale tradition chinoise, là où les villes les ont étouffées. Le rapport au monde, à la terre, aux hommes, semble dans cette région encore un moment protégé de “la machine à développer ” qui s’impose partout en Chine pour faire face notamment au logement d’une population incommensurable (30 millions de tours devraient être construites d’ici 20 ans).
J’empreinte aussi le regard d’un artiste de la région qui décrit le mode de vie passé, ses œuvres sensibles reflets de sa culture, ses émotions quand il parle de la vie dans les yaodong ; et, j’utilise d’autres œuvres de sa composition pour jalonner les étapes de la construction ; je suis les maîtres de fengshui (géomancie), lien social et trait d’union avec l’ancienne culture.
Je parcours ces montagnes, tout en faisant un “sur place” sur les chantiers pour associer l’intelligence de cette construction à un état d’esprit. Je suis au milieu d’eux, eux qui vivent en prise directe avec l’environnement de cette terre de loess singulière.
L’intention est de faire apparaître leur sensibilité par le biais de nos échanges spontanés tout en suivant toutes les étapes de la construction, de la technique à la pratique des rituels, mais sans que jamais cela ne soit fait de façon professorale ou experte. Dans ma position de femme étrangère, accompagnée d’un ami de la région, je vis près d’eux qui m’ouvrent généreusement leur porte. Ne comprenant pas toujours très bien leur langue locale, bien différente du mandarin que j’utilise pour me faire comprendre, ils s’appliquent à répondre à l’intérêt que je leur porte.
En alternant ainsi les images qui suivent le processus de la construction du gros oeuvre et celles des rencontres avec les acteurs de cette construction, tout autant habitants du yaodong - en traversant les saisons - je souhaite reconstituer un Petit traité de construction, à ma façon.
La fabrication du film
Elodie Brosseau, sinologue et réalisatrice, a travaillé un an et demi au montage d’une exposition dans la ville chinoise, à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, qui s’est tenue en 2008 à Paris. C’est à cette occasion que naît l’idée de collaborer avec Caroline Bodolec, chargée de recherche au CNRS, pour faire un film ensemble sur son terrain d’étude qu’elle observe depuis 17 ans. Elle est la conseillère scientifique du film. Documentée de ses recherches, la réalisatrice part seule dans le Shaanbei pour réaliser ce film, retrouvant, Feng Fen, le fils aîné de la « seconde famille » chinoise de l’ethnologue qui l’assiste sur le tournage. Feng Fen et son père sont d’ardents défenseurs de la culture yaodong en Chine et soutiennent la réalisation du film sur place. La chef-monteuse, Hélène Attali, collabore à un travail de montage très attentif à l’intention du film afin de mettre en valeur toute la sensibilité des personnages et du savoir-faire lié à cette construction, où s’entremêlent processus technique et portraits furtifs pour créer un temps particulier, faisant de différents chantiers, un unique et, des différents visages, un portrait. Enfin, Jean-Damien Charrière, créateur d’effets spéciaux et infographiste, répond ici par un habillage sobre, authentique et sensible, à la proposition faite de composer un singulier « Petit traité de construction » sur le sujet d’un patrimoine architectural savant et populaire.
Cette collaboration originale contribue à l’aboutissement d’un film qui fraie une voie nouvelle à ce documentaire qui nous semble pouvoir toucher le grand public.
Le Contexte
Le film est tourné dans le nord de la province du Shaanxi, le Shaanbei, une région de hautes plaines à perte de vue, dans la « boucle » du Fleuve Jaune. C’est dans cette province, toute proche de sa capitale, Xi’An, la première capitale impériale, qu’a été découverte au début des années 70, la tombe du premier empereur de Chine, connue du monde entier. C’est là aussi qu’a été tourné Terre Jaune, l’un des tous premiers films de la 5ème génération des réalisateurs chinois, Chen Kaige à la réalisation et Zhang Yimou à la caméra en 1987. Le district de Yanchuan, lieu de mon tournage, est aussi à une heure et demi de route de Yan’An, là où Mao Ze Dong a terminé sa longue Marche et, c’est justement dans cet habitat troglodyte que Mao a mûri ses réflexions, qui allait donner naissance à la République Populaire de Chine en 1949.
Le yaodong
Le yaodong, dans sa forme architecturale voûtée et la maîtrise de sa construction telles qu’on les connaît aujourd’hui, date de 300 à 400 ans. C’est un habitat d’origine troglodyte. Ces caractéristiques sont simples : une pièce oblongue de 9 mètres de profondeur, une hauteur sous un plafond voûté de 3 mètres de hauteur. Et, il est doté d’un kang (un grand lit familiale construit en dur relié à un fourneau, unique source de chaleur). Sa façade, en treillis de bois dessinant une porte et des ouvertures de fenêtres, à flanc de montagne. Ces troglodytes s’effondrant au bout d’une cinquantaine d’années, les habitants construisent aujourd’hui encore des yaodong non plus en terre et creusés, mais adossés à la montagne et en utilisant la pierre de la région pour sa construction, toujours selon un même plan et en gardant les mêmes caractéristiques précieuses mais d’apparence simples. La technique de construction, elle-même, est cependant savante et précise.
Un savoir-faire traditionnel
Les yaodong se construisent sans plan d’architecte, mais grâce à un savoir-faire traditionnel transmis de génération en génération par les maîtres tailleurs de pierre, les maîtres menuisiers ; et tous, manœuvres habitants paysans et maîtres de fengshui perpétuent ensemble la transmission de cette tradition.
Les rituels
Des rituels ponctuent le processus de la construction et sont la preuve d’une culture encore bien vivante. Ils peuvent être faits par les maîtres tailleurs de pierre, ou par les maîtres de fengshui (géomancie). Ils sont importants et tous orientés vers le Dieu du sol. A travers cette pratique, on découvre les croyances populaires, la tradition, la superstition parfois.
Mode de vie et convivialité
Malgré la modernité qui fait son apparition dans les villes, sous ce climat continental, ils continuent d’être très appréciés pour diverses raisons et particulièrement comme dit l’adage parce qu’il y fait doux l’hiver et frais l’été. Mais c’est aussi un vrai lieu de convivialité où chacun s’invite à s’asseoir sur le kang et discuter de la vie, s’informer des dernières nouvelles des uns et des autres, des mariages, des funérailles, fêtes traditionnelles du calendrier lunaire, etc.