Entreprendre dans le bâtiment aux époques médiévale et moderne. Oser, risquer, gérer
Ce séminaire est issu en grande partie d’un projet initié par Sandrine Victor (Framespa), intitulé « Gérer, oser, risquer : Entreprendre dans le bâtiment au Moyen Age », qui entend explorer des axes de recherche qui stimuleront une approche économique, technique et sociale du secteur.
1. Quels sont les risques techniques pris dans ce secteur ? Quelles audaces, quels paris ont été faits par les bâtisseurs ou par les gestionnaires / commanditaires ? Ces tentatives techniques ont-elles réussi ou échoué et surtout, ont-elles induit des innovations techniques (matériaux, outillage, savoir-faire) ? Cette innovation s’étend-elle à l’administration du chantier ? En somme, le comptable innove-t-il également pour suivre au mieux les flux financiers engendrés par l’œuvre ? Dans ce cadre innovant, se protège-t-on de la faillite ou de l’échec ? Existe-t-il un système d’assurance ?
2. La fabrique est-elle une entreprise ? Le commanditaire, le maître d’œuvre, le gestionnaire sont-ils des entrepreneurs ? De ce fait, il est intéressant de s’interroger sur la prise de risque en termes d’ouverture de marchés, d’association entre artisans, de monopole. Peut-on voir des organisations horizontales ou verticales se mettre en place ? Peut-on parler de stratégie socio-professionnelle dans la course aux chantiers ?
3. Quelle est la chaine entrepreneuriale ? De l’investissement et de l’emprunt éventuel à la réussite ou à la faillite et à l’échec, quelles sont les étapes de cette aventure d’entreprendre dans le bâtiment ?
4. La fixation des prix et des tarifs des prestations ou des matériaux interroge alors. Voit-on des prix d’appel ou des prix d’« amis » : Casse-t-on les prix pour remporter un chantier ? Le gestionnaire fait-il jouer une concurrence ou un réseau ?
5. Quelle est la place des Métiers dans ce contexte ? En régulant main d’œuvre, savoir-faire et prix, jouent-ils un rôle de contrôle et de gestion du secteur ? Par stimulation ou par étouffement ? Négocient-ils, imposent-ils ? Bref, ont-ils une place supra-entreprenariale, peut-on parler de syndicat professionnel ? Et enfin, leur accès aux sphères politiques peut-il être lu comme un lobby ?
6. Enfin, quels réseaux sont induits par ces entreprises du bâtiment ? Ouvre-t-on de nouveaux axes d’échanges de matière première pour importer un nouveau produit, un nouveau savoir-faire, une nouvelle technique ? Va-t-on chercher plus loin des matériaux/outils/compétences à moindre coût ? De ce fait, et basculant dans l’histoire culturelle, ose-t-on importer de nouvelles modes, de nouveaux goûts dans un but d’abord économique ?
Résumés et présentation des auteurs
Introduction,Sandrine VICTOR
Sandrine Victor est maître de conférences d’Histoire médiévale au Centre Universitaire Jean-François Champollion d’Albi. Elle est rattachée à l’UMR 5136 Framespa (France Méridionale Espagne) de Toulouse, et est membre associée de l’EA CRHISM (Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes) de Perpignan. Sa thèse sur « La construction et les métiers de la construction à Gérone au XVe siècle », sous la direction de Christian Guilleré a été publiée en catalan en 2004 et en français en 2008 aux éditions Méridiennes. Après s’être interrogée sur les experts, puis sur les professionnels, elle oriente désormais ses recherches sur l’entreprise et l’entrepreneur médiéval, dans le monde du bâtiment, mais également au delà, comme le montre les journées internationales qu’elle organise à la Casa Velázquez autour des affaires des bouchers (en collaboration avec Paris VIII et l’université de Lleida) au mois de mai. C’est dans le cadre de cette réflexion qu’elle a proposé sa collaboration au Lamop sur le séminaire « Histoire de la construction », à l’origine de cette journée autour "d’entreprendre dans le bâtiment". Cette journée de séminaire sera complétée par une autre journée célébrée cette fois à Toulouse en 2015, afin de prolonger réflexions et débats.
Fanny MADELINE ( Fondation Thiers, LAMOP), « Être entrepreneur au service du roi d’Angleterre : une mission risquée ? Le cas de Jean de Gloucester ». [1]
Résumé. Dans les rouleaux de la monarchie anglaise du milieu du XIIIe siècle, Jean de Gloucester, maçon du roi, apparaît à de nombreuses reprises pour effectuer diverses missions au service d’Henri III (1217-1270). Son rattachement au service du roi se matérialise alors par la possession de terres données par le roi, qu’il tient au titre de sergent, et dont il doit rendre compte annuellement à l’Echiquier, institution à la fois comptable et judiciaire de la monarchie anglaise. Malgré les dons qu’il reçoit en plus pour services rendus, ces revenus ne semblent pas suffire à couvrir les frais de son activité, car Jean de Gloucester apparaît rapidement dans la documentation judiciaire pour dettes. Il apparaît, entre autre, qu’une partie importante de ses dettes sont liées à des chantiers qu’il effectue au service de la royauté, comme en témoigne les comptabilités des travaux du roi à l’abbaye de Westminster, par exemple, ou celles des travaux du pont du château de Gloucester. Il meurt en 1260 en laissant sa femme et son fils dans le dénuement. En reprenant le fil chronologique des différents documents de la monarchie anglaise, il s’agira de comprendre les raisons de la faillite de ce maçon qui occupait pourtant une place importance dans l’administration des travaux du roi. Pour cela, l’enquête consistera à restituer la manière dont Jean de Gloucester a exercé ses fonctions de maçon au service de différentes institutions. On se demandera alors si l’on peut parler d’une gestion entrepreneuriale et dans quelle mesure celle-ci est à l’origine de sa faillite.
Maxime L’HÉRITIER (Maître de conférences en histoire médiévale à l’université Paris 8), « La gestion de l’approvisionnement en fer sur les grands chantiers de construction à la fin du Moyen Âge » [2].
Résumé. Maréchal ou serrurier urbain, propriétaire de grosse forge, les forgerons fournissant les grands entreprises de construction urbaines sont souvent des acteurs extérieurs au chantier. Cette communication s’intéressera à ces acteurs particuliers, notamment à travers l’exemple des chantiers rouennais et troyens, en proposant d’évaluer la stabilité de leurs marchés avec les fabriques et d’analyser les fluctuations de prix à la livre de fer ouvrée entre le milieu du XIVe et le début du XVIe s. On distinguera en particulier la fourniture d’une petite quincaillerie habituelle (gonds, goujons, petites agrafes…) et celle de grosses barres métalliques servant de renfort de construction, dont la forge pouvait représenter un certain défi technique et donc susciter l’ouverture de nouveaux marchés et la gestion du risque d’un travail difficile à exécuter.
Viviane FRITZ (École nationale des Chartes), « Michel Villedo et Cie. Entreprise et expertise à Paris au XVIIe siècle » [3].
Résumé. Ces recherches menées principalement à partir de deux affaires qui reviennent dans les débats des échevins et des Maîtres des œuvres jusqu’à la fin du XIXe siècle portent sur les projets du canal périphérique de Paris (années 1635-1658) et sur la perspective des ponts de Neuilly (années 1610-1670)
Quel est le rôle joué par les entrepreneurs dans les grands projets d’urbanisme de leur temps ? Dans quelle mesure cette participation leur permet-elle de conquérir et d’affirmer leur identité juridique, sociale et même culturelle ?
Valérie NÈGRE (Maître assistante HDR, ENSA Paris La Villette), Les figures de l’entrepreneur. Inventer et représenter la technique au tournant des XVIIIe et XIXe siècles [4].
Résumé. La communication examine plusieurs figures de l’entrepreneur au tournant des XVIIIe et XIXe siècle, à partir de leur activité inventive et éditoriale. Elle montre que loin d’évoluer dans l’univers cloisonné de leurs métiers et dans un monde exclusivement oral, ces praticiens, favorisés par le développement des médias, participent aux débats techniques, s’adressant aux architectes et aux ingénieurs les plus connus, comme aux savants, aux administrateurs et au public.
Les maîtres de métiers les plus habiles et les experts spécialistes de l’exécution des bâtiments répondent aux demandes de la société et de l’Etat en matière d’économie, de sécurité et de confort, en inventant de nouveaux matériaux et de nouveaux systèmes de construction présentés comme utiles au bien-être de tous et en interpellant leurs contemporains, non seulement par des performances orales et visuelles (expositions, démonstrations dans leurs ateliers), mais aussi par leurs écrits (annonces, gravures, brochures à compte d’auteur).
Alain RAISONNIER (Professeur à l’Université Pierre et Marie Curie - Paris VI, retraité ), Q« uelques entrepreneurs de Compiègne dans les chantiers pré-haussmanniens à Paris. » [5].
Résumé. À la fin du XVIIIesiècle, grâce aux libertés nouvelles, les maçons et plâtriers de Compiègne, dont beaucoup avaient participé à la construction du Palais, ont eu l’ambition d’envoyer leurs enfants se former et travailler avec les grands architectes du moment pour construire d’autres beaux monuments : Cyr-Jean Vivenel avec Jacques-Denis Antoine, Antoine Vivenel avec Louis Visconti, Louis Milon et Pierre Sauvage avec Eugène Viollet-le-Duc, …
Leurs mémoires et les chantiers publics ou privés qu’ils ont dirigés, illustrent de multiples aspects de la vie des entreprises de charpente et de construction dans Paris ou aux environs, durant toute la période avant Haussmann : emploi et gestion des ouvriers, vie sociale, vie associative, matériaux de construction, marchés immobiliers, financement des chantiers, contentieux et responsabilités. Quelques exemples de ces chantiers illustres permettent d’éclairer la vie de ces pionniers.
Revue de publications récentes sur l’histoire de la construction
Atelier D’Alleman, Béatrice GAILLARD, ENSA Versailles, « Qui était Antoine D’Alleman ? »