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Accueil du site > Programmes > Transiger > Compte rendu de l’atelier 1 - 21 mai 2012

Compte rendu de l’atelier 1 - 21 mai 2012

La réunion précise dans deux directions la démarche du groupe de travail : quel objet ? sous quelle forme travailler ?

 Quel domaine explorer et avec quels objectifs ?

Les « pratiques de transaction » c’est-à-dire les pratiques contractuelles quelle que soit leur formalisation, sans restriction aux contrats juridiquement sécurisés.

Plus exactement des pratiques de création, de conduite, d’entretien de liens « infracommunautaires » (au sens où ils n’engagent pas immédiatement des communautés politiques constituées). Histoire économique et sociale incarnée, qui ne fige pas la société médiévale en groupes, mais qui est sensible aux rapports, aux relations et à leur diversité : un des enjeux est de savoir comment décrire et comprendre plus finement que dans un simple face-à-face dominés/dominants l’économie du commun.

La force du pactisme est une chose connue pour le Moyen Âge, la contractualité est abondamment étudiée, s’agissant de l’aristocratie (féodalité traditionnelle et « bâtarde ») et des communautés politiques (alliances, ligues, négociations diplomatiques, pacification…). Ces pratiques de transaction sont abondamment étudiées aujourd’hui de manière renouvelée.
Deux lacunes sont repérables dans ces historiographies :
- Les pratiques de transaction du commun (travail, usages du sol, crédit, ventes d’objets, mais aussi des transactions sans contre-partie monétaire, transactions matrimoniales…) ont moins retenu l’attention des médiévistes en tant que pratiques, même si elles ont été soigneusement étudiées comme pourvoyeuses de données factuelles (prix, volumes de production, fortunes et niveaux de vie, culture matérielle, techniques, listes d’objets…). Elles ne sont pas a priori moins formalisées ou moins complexes que les précédentes. Il faut en finir avec la transparence du contrat (en particulier notarié) et faire du contrat écrit un simple élément de l’objet observé. Les catégories populaires sont certes sous-représentées dans les documents notariés, elles n’en sont pas totalement absentes et elles peuvent de surcroît être abordées par les narrations judiciaires (enquêtes…) et certaines comptabilités, seigneuriales ou parfois marchandes.
- La montée en puissance de la contractualité dans le second Moyen Âge, qui est une évidence documentaire, est interprétée de manière prédominante comme l’outil d’une nouveauté économique et commerciale, d’une modernité, d’un repli progressif des échanges non marchands et d’un passage des sociétés médiévales à des fonctionnements plus abstraits et dépersonnalisés. En réalité, la contractualité ne dit rien de la complexité et de la substance des rapports tissés entre les personnes. La transaction notariée et dotée d’un apparat juridique renforcé n’est pas synonyme d’un fonctionnement de marché. Des travaux de modernistes (N. Z. Davis, L. Fontaine notamment) et de sociologues (Fl. Weber notamment) montrent que don et marché n’existent pas de manière étanche, mais concomitante, voire parfois imbriquée. Une transaction peut emporter les deux aspects.

En s’appuyant sur un protocole de recherche proposé par Florence Weber (notamment dans Dufy C. et Weber Fl., L’ethnographie économique, Paris, La Découverte, 2007), on peut identifier quatre dimensions des transactions qui les constituent comme socialement efficaces et qui doivent donc être décrites :
- les cadres cognitifs dans lesquels elles prennent sens pour les partenaires (langue et procédures de qualification des transactions, dans les documents juridiques et judiciaires, notariés et narratifs : par exemple les mots de la « confiance » et ceux de « l’usure »…). Ces procédures de qualification sont notamment, mais pas seulement, juridiques. Il importe d’ailleurs de ne pas prendre pour repère principal de l’analyse cette qualification juridique : il faut qualifier l’acte social, la transaction concrète, l’opération économique, qui se cache sous l’instrument juridique employé, au risque d’empêcher toute comparaison entre des ensembles aux traditions juridiques distinctes. Ne pas se contenter de catégoriser les contrats et de compter les types d’actes (constitutions de rentes, obligations, baux…). La qualification juridique est l’une des qualifications possibles, celle de l’institution légale. Remarque : Gilles Postel-Vinay a montré la stabilité de la géographie des instruments de crédit entre XVIIIe et XIXsup>e siècle (un Nord du royaume qui recourt massivement aux rentes, un Sud qui recourt massivement aux obligations), stabilité pour l’heure non expliquée, mais qui pourrait renvoyer à des traditions juridiques ou à des circuits de formation des notaires (qui relèvent d’une autre étude…).
- les rituels et dispositifs matériels des transactions, comprenant les gestes (y compris ceux de l’écriture), les objets (y compris les « objets graphiques »), les lieux et temps de ces transactions, autant de variables décisives pour que celles-ci soient reconnues comme socialement efficaces.
- outils et procédures d’inscription des transactions, dans leur diversité : minutiers, expéditions, papiers marchands, registres et actes d’ensaisinement, comptabilités qui notent les arrérages…
- professionnels de l’encadrement des transactions, le cas échéant. Ce 4e volet pourra aussi faire l’objet d’un développement propre, dans le cadre d’une réflexion sur la « profession » de notaire, au-delà de leur activité de scribe des contrats.

Ce ciblage des pratiques de transaction doit permettre de recalibrer la source contractuelle, d’en mesurer les lacunes, voire de poser quelques éléments d’une théorie de la pratique contractuelle médiévale :
- L’échelle fondamentale de l’observation et de l’interprétation n’est pas l’acte, mais le ménage, la maison, en tant qu’unité économique et sociale élémentaire. L’expression « économie domestique » fait référence à cette échelle d’observation, tout en en suggérant la part non réglée par le droit, l’au-delà du contrat.
- Les transactions se présentent le plus souvent dans les archives comme des opérations ponctuelles (dans les comptabilités annuelles, dans les minutiers des notaires : se souvenir que les notaires gardaient bien souvent à côté des minutiers des dossiers de clients et que ces derniers ont souvent été détruits). Mais elles s’inscrivaient pour beaucoup d’entre elles dans des relations de plus longue durée et qui n’étaient pas unidimensionnelles : les transactions réelles sont rarement des procédures de « spot-market », mais elles se jouent bien souvent à l’intérieur de séries de transactions pour les co-contractants. C’est la relation créée par toutes ces transactions (et d’autres aussi : voisinage, relations familiales…) qui commande chacune d’elles. De telles séries ou chaînes sont précisément ce qui est à même de construire le lien dit de « confiance » (ce dernier mot désignant en fait la garantie d’un comportement adéquat du partenaire), qui a un impact sur le prix de ces transactions. Il faut donc « sortir de l’usage nominal » du contrat, qui a pu par exemple aboutir à l’établissement de courbes de prix manifestement aberrantes parce qu’elles mettaient en série des valeurs hétérogènes. Ainsi, en étudiant séparément les contrats passés en milieu d’interconnaissance et ceux passés en l’absence d’interconnaissance (ce dont les contrats eux-mêmes peuvent fournir des indices), de telles disparités peuvent apparaître.
- L’étude doit être minutieuse en se donnant pour tâcher de « détourer » les éléments qui dans les contrats, les formules employées, peuvent laisser penser qu’on est dans une situation de transaction beaucoup plus globale. De dégager des processus qui se situent autour du contrat et font de la transaction un ensemble polymorphe : par exemple l’entretien d’embauche qui précède le contrat de travail et qui n’y est jamais mentionné ; les négociations qui précèdent le contrat (mentionnées dans les documents judiciaires ou dans certaines comptabilités) ; par exemple encore les choses volontairement non écrites dans le contrat et explicitement laissées à l’arrangement oral. Elle doit pouvoir permettre de mettre au jour dans le contrat ce qui est implicite, sous-jacent, non contractuel, « l’inapparent de l’écriture ».

Des pistes de recherche sont évoquées au passage :
- il n’y a pas de transactions internes aux familles dans les contrats (sauf mariages et testaments) ;
- les exécutions testamentaires sont des procédures de longue durée riches en transactions ;
- les temporalités de l’inscription : au milieu du XVe siècle, n’assiste-t-on pas à une émergence massive dans certains domaines autrefois rétifs à la contractualité ?

 Comment ?

D’évidence, il faut travailler sur de petits dossiers dévoilant la complexité, l’épaisseur et la temporalité de certaines transactions. Le travail en groupe restreint a toutes les chances d’être plus efficace.

Quelques (brèves) lectures utiles :
- Dufy, Caroline et Weber, Florence, L’ethnographie économique, Paris, La Découverte, 2007.
- Guinnane, Timothy W., « Les économistes, le crédit et la confiance », Genèses, vol. 79, no. 2, p. 6-25, 2010.
- Hassoun, Jean-Pierre, « Les relations marchandes, l’argent et les marchés. La fin du Grand Partage et autres frontières ? », Ethnologie française, vol. 35, no. 1, p. 103-107, 2005.
- Hassoun, Jean-Pierre, « La place marchande en ville : quelques significations sociales », Ethnologie française, vol. 35, no. 1, p. 5-16, 2005.
- Laferté, Gilles, « De l’interconnaissance sociale à l’identification économique : vers une histoire et une sociologie comparées de la transaction à crédit », Genèses, vol. 79, p. 135-149, 2010.
- Ténédos, Julien, L’économie domestique. Entretien avec Florence Weber, Aux lieux d’être. Paris, 2006.
- Weber, Florence, « Transactions marchandes, échanges rituels, relations personnelles. Une ethnographie économique après le Grand Partage », Genèses, vol. 2000/4, no. 41, p. 85-107.
- Weber, Florence, « Comment décrire les transactions », Genèses, vol. 2000/4, no. 41, p. 2-4.

Participants : Laurent Jégou, Kouky Fianu, Philippe Bernardi, Darwin Smith, Danielle Courtemanche, Marie Dejoux, Julie Claustre, Didier Panfili, Laurent Feller, Jérôme Hayez, Thomas Lienhard et Mélanie Morestin Dubois.